Sommaire

  • Considérations psycho-sociologiques
    • Les demandes du grand public
    • Répondre aux demandes et sensibiliser
    • Réceptivité de différents types de public
    • Intervenir en amont
    • Les inquiétudes face au changement
    • Pérénniser le changement
  • Considérations pratiques
    • Les ateliers ponctuels
    • Les séries d'ateliers
    • Le cadre de l'intervention
    • En pratique (matériel, lieu, durée, nombre de participants)

Considérations psycho-sociologiques

Les demandes du grand public

Les premières demandes qui s'expriment sont des demandes de soutien technique et de formation à un usage basique des outils numériques. En effet une part importante de la population est encore en difficulté devant ces outils, certaines personnes sont même paralysées par un sentiment d'incompétence.

Au delà de la simple prise en main des appareils, les demandes générales les plus fréquentes sont :

  • ne plus recevoir de courriels indésirables (spam) ;
  • se protéger contre le "piratage" et les virus ;
  • sauvegarder ses données vers un support externe ;
  • transférer les photos prises avec un ordiphone ou une tablette vers un ordinateur.

Ponctuellement, d'autres demandes plus particulières s'expriment, comme par exemple :

  • dépanner un ordinateur devenu excessivement lent ou qui ne démarre plus ;
  • créer une adresse de courrier électronique ;
  • installer et utiliser divers logiciels gratuits (bureautique, retouche photo...).

Par contre il n'y a guère de demandes spontanées de passage vers des outils libres et des services éthiques, simplement parce que :

  • le public a peu conscience des enjeux ;
  • le public ignore l'existence des alternatives libres et éthiques.

En général une certaine conscience de la problématique de l'exploitation des données personnelles existe (car le sujet est de plus en plus souvent abordé dans les médias grand public). Cela peut venir aussi d'une expérience personnelle du web : publicités ciblées qui vous "suivent" de site web en site web, prix de billets d'avion qui augmentent à chaque nouvelle visite sur un site de réservation...).
Toutefois la compréhension des mécanismes reste limitée, la gravité des conséquences individuelles reste très largement sous-estimée et les conséquences sociales sont largement ignorées.

L'existence d'alternatives est généralement totalement ignoré ce qui entraîne soit une attitude résignée ("on n'y peut rien") soit un déni des problèmes ("ce n'est pas si grave").

Par ailleurs le grand public n'est guère intéressé par le numérique. Celui-ci n'est vu que comme une collection d'outils dont on veut pouvoir se servir sans avoir à en comprendre le fonctionnement

Ce qui importe c'est que "ça marche" et "sans prise de tête".

Répondre aux demandes et sensibiliser

La proposition d'atelier d'émancipation devra donc à la fois répondre aux demandes déjà formulées et engager un processus de sensibilisation pour élargir ces demandes.

La sensibilisation a pour but à la fois de faire connaître l'importance des enjeux du numérique, les dangers des outils privateurs de liberté et de montrer que des solutions accessibles au grand public sont disponibles.

Les conséquences néfastes liées à l'usage des outils et services privateurs sont peu perceptibles car elles sont souvent indirectes, masquées, à moyen ou long terme et s'exercent en profondeur. Par conséquent les bénéfices apportés par l'usage d'outils libres et de services éthiques seront également difficilement perceptibles.

C'est pourquoi il est important de commencer par mettre en place des actions dont les bénéfices sont immédiats et visibles.

Une telle action consiste à bloquer les publicités sur le web (ou dans les applications mobiles) en faisant installer un bloqueur de publicités et de traqueurs : uBlock Origin (ou Blokada).

Réceptivité de différents types de public

Au delà des évidentes différences de niveau technique, des différences sociologiques auront une influence sur la façon dont l'invitation au changement est accueillie.

Dans les domaines techniques, les femmes sont en moyenne plus enclines à accepter de l'aide car elles assument mieux que les hommes leurs difficultés et leur manque de compétence. Ces derniers peuvent parfois éprouver une certaine honte à ne pas maîtriser un domaine traditionnellement dévolu aux hommes. Cela peut se manifester par un déni, la volonté de se "débrouiller seul", une résistance à reconnaître le bien fondé de ce que le formateur propose. (D'autant plus si ce dernier est une femme !) Le fait de vouloir se "débrouiller seul" (et de souvent disposer de plus de temps libre que les femmes...) peut les amener à acquérir plus de compétences mais aussi plus de mauvaises habitudes.

Les jeunes qui se débrouillent facilement par eux-mêmes ont parfois le sentiment d'avoir tout compris et de ne pas avoir besoin de plus d'information. Il est également plus difficile pour eux d'appréhender les enjeux liés à la protection de la vie privée et les enjeux de société, et de s'y intéresser. Cette facilité apparente peut les amener à adopter sans réfléchir des comportements inconséquents et dangereux pour eux-même ou pour leurs proches. Ainsi, par exemple, ils s'exposent à être victimes de cyber-harcèlement.
Ils sont également beaucoup plus enclins à imiter leurs pairs, la conformité aux valeurs du groupe étant pour la plupart d'entre eux primordiale.

Les personnes qui n'ont pas découvert les outils numériques au cours de leur jeunesse sont les plus susceptibles d'être paralysées par le sentiment d'incompétence.

Intervenir en amont

Il est important de pouvoir faire valoir une démarche d'émancipation numérique le plus en amont possible, lorsque le public est confronté pour la première fois aux outils numériques. Cela concerne aussi bien les enfants que les personnes qui sont prises en charge dans des ateliers de lutte contre l’illectronisme.
En effet la familiarisation avec les premiers outils est déterminante (et c'est bien pour cela que Microsoft, Google et Apple ne lésinent pas sur les moyens qu'ils "offrent" aux établissements scolaires - avec la complicité des technocrates et des politiciens).

Pour les adultes, l'une des premières opérations qui leur sera proposé sera d'ouvrir une boîte mél. C'est la responsabilité du formateur de ne pas les faire tomber dans le piège des mél gratuits de Google (Gmail), Microsoft (Hotmail / Live / Outlook) ou Yahoo. Il leur sera ensuite difficile d'en changer.

Les inquiétudes face au changement

La résistance au changement est un phénomène très général. Tout changement nécessite un effort et celui-ci ne sera mis en œuvre que si la motivation est forte.
La motivation sera augmentée par la prise de conscience accrue des enjeux et de la gravité des conséquences potentielles du fait de demeurer dans la situation présente, ainsi que par le sentiment de responsabilité vis-à-vis des autres (l'émancipation est un processus collectif).
L'effort sera minimisé par l'accompagnement, soit personnalisé, soit à travers des séries d'ateliers collectifs.

Dans le cas des outils numériques l'inquiétude est particulièrement vive.

En effet, d'une part la compétence à maîtriser les outils est faible (ou perçue comme telle) : les personnes ont souvent l'impression de parvenir à peine à se servir de leurs outils actuels. Et ils craignent qu'en changer leur ferait perdre leurs faibles repères. D'autre part les personnes craignent qu'un changement d'outil pourrait leur faire perdre des données, des raccourcis, des possibilités de faire telle ou telle action.

Les difficultés d'adaptation

La faible maîtrise des outils provient évidemment d'une absence de formation de base. Beaucoup de personnes ont des stratégies automatiques et figées pour parvenir à réaliser une tâche et le simple changement de position, de couleur ou d'intitulé d'un bouton ou d'un menu peut parfois les dérouter complètement. Cela est du au fait que ces personnes ne comprennent pas le fonctionnement des interfaces, n'en déchiffrent pas la sémantique. Elles ne sont donc pas capable d'utiliser des heuristiques qui leur permettraient de s'adapter facilement à un nouvel outil.

Pour ces personnes la mise en place de nouveaux outils doit aussi s'accompagner d'une formation de base aux interfaces.

Des explications sur le fonctionnement des ordinateurs et leurs différents composants peuvent aussi démystifier les outils et les rendre moins impressionnants.

L'émancipation numérique progresse non seulement par l'usage de logiciels libres et de services éthiques mais aussi par une plus grande autonomie des personnes et l'atténuation de leur sentiment d'incompétence.

Les risques de pertes

Lors du remplacement d'outils privateurs par des outils libres il est préférable, au moins dans un premier temps, de ne pas désinstaller les anciens outils. D'une part cela rassure les gens, d'autre part cela permettra éventuellement de récupérer des données ou des paramètres qui auraient pu être perdus du fait de la désinstallation si le transfert n'a pas été fait complètement (par exemple : des mots de passe enregistrés, des favoris, des raccourcis vers des pages web liés à un navigateur...). Des fonctionnalités pourraient aussi être dépendantes de synchronisations d'appareils ou de serveurs mises en place avec une application particulière (par exemple : ChromeCast, diffusion entre navigateur Chrome et Android TV).
Il faut garder à l'esprit que l'utilisateur ne pense pas toujours à citer à certains usages qui avaient été mis en place ou même il peut ne pas en avoir conscience.

Autant que possible l'installation du nouveau logiciel (ou système d'exploitation) doit s'accompagner d'une configuration personnalisée et, le cas échéant, d'une restauration de données, de façon que le nouvel outil soit immédiatement utilisable. Ainsi l'effort d'adaptation est minimisé ou compensé par ce service supplémentaire.

Il est nécessaire d'indiquer aux personnes comment elles pourront faire les tâches qu'elles ont l'habitude de faire. Si possible le leur faire faire immédiatement (par exemple, se connecter à leur boîte mél depuis leur nouveau navigateur web).

En leur faisant découvrir des possibilités qu'elles ignoraient, associées aux nouveaux outils ou services, on leur montrera qu'elles peuvent tirer un bénéfice de cette migration, y compris en terme de fonctionnalités.

Pérenniser le changement

Faire installer de nouveaux outils ne suffit pas. Il faut faire en sorte que les personnes les adoptent vraiment.

Expliquer l'intérêt des solutions libres et éthiques proposées est essentiel pour que ces solutions restent utilisées par les personnes après l'atelier.

Le changement est plus facile à réaliser de façon collective, car il procure alors un sentiment d'appartenance au groupe. Les personnes ne se sentent pas isolés et pourront recevoir une aide des autres personnes engagées dans la même démarche.

En ce qui concerne les messageries instantanées qui nécessitent que les correspondants adoptent le même outil, le changement a d'autant plus de chance d'être durable si la personne trouve dans la nouvelle messagerie des personnes présentes dans ses contacts. Une telle migration est d'autant plus facile si elle est mise en œuvre collectivement par un groupe de personnes qui sont déjà en contact (famille, amis, élèves, membres d'une même organisation).

Par ailleurs, il est important de montrer comment désactiver et réactiver les dispositifs de blocage de publicités et de traqueurs, ou comment y introduire des exceptions. En effet au cas où un site web ou une application se trouverait gêné dans son fonctionnement par un tel dispositif il faut que les personnes puissent contourner cette difficulté ponctuelle sans pour autant abandonner le dispositif.

Le suivi

Dans la mesure du possible, il est important d'assurer un suivi ou d'offrir la possibilité d'une assistance. Si les ateliers se succèdent, il est important de revenir sur l'atelier précédent en début de séance pour répondre aux questions et aux difficultés qui se seraient manifestées entre temps.

Il faut avoir conscience que suite à l'installation d'un nouvel outil, celui-ci sera soupçonné d'être responsable de la plupart des futurs dysfonctionnements qui apparaîtront par la suite. En effet en cas d'apparition d'une difficulté nouvelle, le premier réflexe est d’incriminer le nouvel outil, d'autant plus que la plupart des gens ne sont pas en capacité de déterminer l'origine plausible des problèmes informatiques qu'ils rencontrent.

Lire aussi : installer un logiciel libre pour une tierce personne.

Considérations pratiques

Vous trouverez dans notre page "ressources pédagogiques" les déroulés d'un certain nombre d'ateliers (documents pour les participants, diaporamas...).

Les ateliers ponctuels

Un atelier ponctuel va consister à proposer une action simple et ayant un bénéfice immédiat.

À moins qu'il ne réponde à une demande pré-établie, l'idéal est de proposer l'installation d'un bloqueur de publicités et de traqueurs pour le web (uBlock Origin) ou pour les applications mobiles (Blokada).
Pour être complet, le premier doit en principe inclure l'installation d'un navigateur web libre et sa configuration avec un moteur de recherche éthique.
Le second nécessitant l'installation du magasin d'application alternatif F-Droid sera l'occasion de promouvoir ce dernier.

L'atelier doit être introduit par une séquence de sensibilisation aux dangers que les opérations de configuration qui seront proposées vont permettre d'atténuer.

Les séries d'ateliers

Une série d'atelier est en principe suivie par un même groupe de participants. Elle permet une certaine progression (certains ateliers peuvent être néanmoins être indépendants les uns des autres, ce qui laisse plus de souplesse pour les participants qui ne seraient pas en mesure d'assister à chaque atelier).

Elle permet aussi de mettre en place des outils ou services qui nécessitent une procédure plus longue (comme par exemple un changement d'adresse mél). Celle-ci pouvant s'étaler sur plusieurs séances.

Le cadre de l'intervention

Celle-ci peut être organisée pour le compte d'une institution (ex : bibliothèque, espace public numérique, maison de quartier), d'une association (ex: comité d'entreprise, tiers lieu, SEL) ou de tout autre collectif.
Elle peut-être organisée à votre propre initiative si vous disposez d'un réseau de connaissance suffisant pour mobiliser des participants.

Le collectif qui organise l'atelier mobilisera son réseau pour faire connaître l'intervention auprès de son public.

Vous pouvez créer une page sur l'outil Mobilizon qui rassemble toutes les informations pratiques et permet - si nécessaire - de gérer les inscriptions, et en diffuser l'adresse. Vous pouvez en plus créer un événement sur l'Agenda du Libre.

Demandez aussi aux participants d'amener une collation pour la pause !

En pratique

Le matériel

L'idéal est que les participants viennent avec leur propres appareils de façon à les configurer directement pendant l'atelier. Ne pas oublier les chargeurs ! Demandez aussi aux participants d'amener une collation pour la pause !

Selon le thème de l'atelier des appareils divers peuvent être utilisés (ordinateur, ordiphone/tablette) ou au contraire l'atelier peut ne concerner qu'un seul type d'appareil.

Si l'atelier se déroule sur des ordinateurs mis à la disposition du public, l'idéal seraient que ces machines soient équipés du système GNU/Linux. En effet cela permettrait aux participants de se rendre compte que ce système est simple à utiliser. Ils devront être informés de la possibilité de se faire installer GNU/Linux sur leurs propres appareils par des associations spécialisées (les GULL notamment).

Le formateur devrait être équipé d'un ordinateur portable, d'un ordiphone (ou d'une tablette) avec un câble USB pour le relier à l'ordinateur. Cette liaison permet d'afficher l'écran de l'ordiphone sur l'écran de l'ordinateur (tutoriel), lequel peut lui-même être projeté sur un mur ou un grand écran. Ne pas oublier les chargeurs !

Si le lieu ne les fournit pas : un rétro-projecteur (avec le câble pour s'y connecter). Plusieurs multi-prises (et rallonges) pour que les participants puissent brancher leurs chargeurs.

Le lieu

Le lieu devrait permettre un accès Internet aisé (en Wi-Fi) et supportant des connexions multiples. À défaut une bonne réception 4G qui pourrait être relayée par les ordiphones de quelques personnes pour alimenter les ordinateurs portables en Internet.

Un mur blanc (ou un grand écran) pour permettre de projeter l'image de l'écran du formateur.

La durée

Un atelier peut avoir une durée comprise entre une et jusqu'à quatre heures pour des adultes (avec des pauses !).

Quatre heures représentent en réalité trois heures de travail effectif, compte-tenu de la mise en place, du rangement et des pauses. Cette durée est idéale de façon à permettre d'avancer suffisamment tout en prenant le temps de bien expliquer et d'accompagner les personnes en difficulté.

Le nombre de participants

Un formateur seul peut accompagner 5 à 8 personnes en fonction de l'équipement du lieu (projecteur), de la disparité des équipements des participants et du niveau des participants.
S'il sont de niveaux inégaux, il est judicieux de placer un utilisateur plus expérimenté à coté d'un utilisateur qui l'est moins.
Si plusieurs types d'appareils sont utilisés, regrouper les gens en fonction de leur appareil leur permet de s'entre-aider.

La présence d'un ou plusieurs assistants permet d'augmenter le nombre de participants.